Eurydice est morte par une sombre et froide nuit d'hiver. C'était en juin. “Oedeme Cérébral Avec Complications Entrainant La Mort” disait le compte-rendu du médecin de l'hopital. Les grands mots ça rassure. Peu importent les détails. A qui revient la faute, personne ne sait et personne ne cherche à savoir. Le fait est simple : Eurydice est morte.
Maintenant se pose la question : et nous ? Que faire d'une part avec cette blessure que nous avons, ce manque profond et cruel qui sans cesse et sans fin nous traverse de part en part comme un fil brûlant, insaisissable mais irrémédiablement présent jusqu'à la fin de nos vies. Et d'autre part de nos vies, changées mais identiques. On voudrait que tout change, que son départ change radicalement notre vie et qu'elle ne soit plus jamais la même, on s'attend à une vie de larmes et de regrets entièrement tournée vers Elle. Mais au matin la vie est à la porte de la chambre. La même vie qu'avant, celle où Eurydice se promenait avec nous dans les méandres des rues, où on allait travailler, étudier, manger, lacer ses chaussures. On voudrait que tout change mais rien ne change. Le monde continue de tourner. Le boulanger ne la connaissait pas, il s'en fout. Son pain est toujours aussi bon. On voudrait le cracher, on s'attend à ce qu'il soit immangeable, on voudrait qu'il change de goût. Mais non.
Alors que faire ?
La vie est une roue gigantesque qui nous écrase si on la retient. On ne peut pas changer sa direction générale, ce qui doit arriver arrive. Il Faut continuer de se nourrir, de courir, de rire, de vivre. Eurydice était très belle, dans son corps de femme et dans son esprit d'enfant. Elle avait cette flamme qui forçait l'admiration et le respect partout où elle allait. Elle vivait Completement grâce à cette flamme qui la nourissait et qui en retour lui donnait la force d'aller au delà d'elle même. Eurydice est partie mais sa flamme est toujours là. C'est pour ça que le pain est toujours bon, que les oiseaux continuent de chanter, que les gens se lèvent encore le matin. Elle n'est pas partie, ce qui constituait son essence primordiale, ce qui était au fond d'elle même et qui la faisait avancer est toujours là. Elle nous l'a donné en partant, dans son dernier souffle qu'Orphée n'a pas eu le courage de voir.
Nous sommes tous les gardiens de la flamme d'Eurydice.
Notre vie va changer, effectivement. Mais pas vers la souffrance et les larmes éternelles. Au contraire. Les oiseaux chanteront plus fort, le pain sera meilleur, l'air sera plus pur, et chaque chose que nous vivrons sera plus intense et résonnera plus fort dans nos coeurs et dans nos têtes. Cette flamme qu'elle nous laisse nous éclaire. Elle nous aide à avancer et a discerner le bon du mauvais pour nos vies. Tant qu'on lui donnera du combustible elle continuera de briller dans nos coeurs.
Orphée décide de Vivre. Il a récolté comme tous sa part du dernier souffle de son aimée et l'a accrochée à une bougie. Puis il a allumé un feu chez lui et la flamme a perduré.
juillet 2005